A la recherche de la communauté créole
La multiculturalité de la France est incontestable compte tenu de son passé historique. Pourtant, on ne peut que faire le constat de l’inexistence d’une véritable communauté créole en France hexagonale quand d’autres groupes socio-culturels sont reconnus comme constituant des communautés soudées.
Pour mieux comprendre cette absence d’une communauté créole, il convient de définir ce qu’est une communauté, de proposer un état des lieux. d’en tirer les enseignements. Puis de proposer des voies possible pour un futur. créole
La communauté. Une définition nécessaire
Les facteurs qui permettent de définir une communauté sont multiples et interdépendants, les trois premiers éléments étant la proximité géographique, le sentiment d’appartenance et la solidarité.
Si l’un des premiers critères à retenir est la proximité géographique (quartiers, villes, centres communautaires), car elle favorise les interactions, le sentiment d’appartenance est certainement l’élément essentiel de l’existence d’une communauté qui se pense.
Dans la formation de ce sentiment, les événements historiques, la mémoire collective, les récits communs, les langues, jouent un rôle crucial. Et la cohésion de la communauté est assurée par le partage des valeurs, des croyances et des traditions. Les rituels, les pratiques culturelles et les célébrations régulières permettent à ses membres de se rencontrer, d’échanger, de collaborer ensemble et de transmettre aux futures générations.
La solidarité est également un pilier central de la communauté : que ce soit sur le plan matériel, social ou émotionnel, les membres de la communauté s’entraident, constituent des réseaux économiques, sociaux, éducatifs, et se soutiennent dans les moments de crise.
Qu’elle soit culturelle, ethnique, linguistique ou sociale, une communauté se forme autour d’une identité commune. Ses membres se reconnaissent mutuellement, savent, sont conscients de ce qu’ils constituent un groupe distinct et soudé. Ils s’assurent d’une présence dans les medias et cherchent à peser politiquement.
État des lieux. Antillais, Guyanais et Réunionnais
Antillais, Guyanais et Réunionnais ont en commun une histoire de migration particulière.
Les Antillais
L’arrivée massive des Martiniquais et des Guadeloupéens en France hexagonale s’est intensifiée durant les Trente Glorieuses (1945-1975). Une migration encouragée par l’État et par le biais du Bureau pour le Développement des Migrations dans les Départements d’Outre-mer. Le BUMIDOM, créé en 1963 par Michel Debré, permet alors à l’État français d’agir, à la fois contre la crise sociale (les mouvements sociaux à de Fort-de-France en 1959) et la diminution de la main-d’œuvre dans certains secteurs tels que : l’industrie, les services publics, la construction.
Majoritairement jeune, non diplômée, cette population est envoyée en banlieue et dans les villes où les secteurs sont en tension.
La dispersion géographique
La volonté de l’État de disperser les familles afin d’éviter les ghettos ont fait que les Antillais n’ont pas établi de quartiers ethniques en France hexagonale, contrairement aux Italiens, aux Chinois avec les “Chinatowns” dans le quartier de Belleville ou dans le treizième arrondissement de Paris ou aux juifs dans le quartier du Marais et dans le dix-septième arrondissement de Paris.
Au contraire, l’intégration des Antillais dans des quartiers où étaient déjà présents des groupes d’immigrants a limité les interactions sociales et culturelles, affaibli le sentiment d’appartenance et empêché le développement des réseaux et, par suite, d’une communauté antillaise soudée
L’invisibilité
Si quelques associations ont bien vu le jour dans le but de promouvoir la culture et l’identité antillaise, il s’agit surtout d’activités autour de la musique, de la danse et de la cuisine. De manière globale, la visibilité de la culture antillaise en France hexagonale, souvent éclipsée par celle de groupes communautaires plus médiatisés, comme précédemment cités, reste limitée et peine à toucher un large public. Une invisibilité renforcée par le manque de représentation dans les medias comme dans les institutions culturelles.
La migration antillaise a marqué un véritable tournant dans l’histoire et dans la relation entre la France hexagonale et les départements dits d’outre-mer. L’absence de quartier spécifiquement antillais, la dilution des liens communautaires, et, de fait, de la solidarité au sein de la diaspora, a empêché et continue d’empêcher toute constitution d’une véritable communauté antillaise. Une communauté qui ne peut exister sans soutien institutionnel, médiatique et politique.
Les Réunionnais
Comme les Antillais, les Réunionnais, présents en région parisienne de manière générale, ont connu cette migration particulière et ses effets sur leur population.
Pour les Réunionnais, de manière plus importante mais également pour les Antillais, à cette migration a été ajoutée la déportation d’enfants isolés à destination de l’Hexagone. Ainsi en est-il des “Enfants de la Creuse“. Une situation qui concerne plus particulièrement la société réunionnaise mais pas seulement.
Plus organisées, les structures associatives réunionnaises sont mieux établies que celles des Antillais. Et les réseaux et groupes de soutien réunionnais existent réellement.
Les Guyanais
Bien qu’il n’existe pas de statistiques sur ce point, le nombre de Guyanais vivant en France hexagonale est évalué à environ 30 000 à 60 000 contre 300 000 Antillais. Comme pour les Antillais et Réunionnais, cette population se concentre principalement en Île-de-France.
Les manifestations culturelles guyanaises sont peu fréquentes. Et la question de leur représentation, dans le domaine de la recherche scientifique compte tenu de l’existence du Centre Spatial de Kourou sur leur territoire et dans des réseaux professionnels en France hexagonale, reste posée.
Cet état des lieux révèle qu’une forte influence culturelle dans les domaines de la musique et de la cuisine ne se traduit pas nécessairement par l’existence d’une communauté soudée en termes de solidarité sociale.
Comparaison avec les Haïtiens. un modèle de solidarité
Les Haïtiens montrent que, même en situation de dispersion géographique, il est possible de cultiver un sentiment d’appartenance à une communauté.
Solidarité et lobbying
Les Haïtiens montrent que, même en situation de dispersion géographique et d’exil, malgré les difficultés économiques et sociales, il est possible de cultiver un sentiment d’appartenance à une communauté.
Contrairement aux Martiniquais, Guyanais et Réunionnais, les Haïtiens ont réussi à créer des communautés fortes et soudées, notamment aux États-Unis (New York, Miami) et au Canada (Québec). En France, cette population se situe généralement à Paris et à Lyon.
Les réseaux d’entraide des Haïtiens sont des exemples de solidarité communautaire. Sans doute parce que, contrairement à la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion qui sont des départements français, Haïti est un pays indépendant. Ainsi, les Haïtiens sont présents dans les institutions et peuvent pratiquer du lobbying.
Une visibilité particulière
Si, en France, l’impact des associations et initiatives culturelles haïtiennes demeure limité par rapport à des groupes communautaires plus établies, une exception demeure : la production et la diffusion des films haïtiens sont rendues fortement visibles grâce aux réseaux de la communauté.
Mais, s’il existe un sentiment d’identité culturelle, renforcée par l’usage de la langue créole haïtienne, qui est langue officielle, et des pratiques traditionnelles, les Haïtiens n’ont constitué en France aucun quartier ethnique.
Bibliographie
- Benedict, Anderson, Imagined Communities, London, Verso, 2006.
- Anthony P. Cohen, Symbolic Construction of Community, London, Routledge, 1985
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alexia de Saint John's (9 août 2024). A la recherche de la communauté créole. Kreyolscope. Consulté le 9 septembre 2024 à l’adresse https://kreyolscope.hypotheses.org/112